Denise
La piètre qualité de la langue française au Québec fait couler beaucoup d’encre… et vendre de la copie. À preuve, Denise Bombardier s’est prononcée contre la position d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin, linguistique et essayiste (La langue rapaillée, 2015 et La langue affranchie, 2017), dans un billet fielleux intitulé « Une linguiste populiste » (Journal de Montréal, 25 avril 2017) dont, soit dit en passant, je déplore le ton. L’acrimonie de madame Bombardier est-elle bien nécessaire pour faire avancer le débat? En fait, son billet d’humeur contient de solides arguments qui pourraient me gagner, si son regard était plus objectif…
Louis Cornellier, quant à lui, adopte un discours beaucoup plus respectueux et nuancé dans son court compte rendu de La langue affranchie. En effet, « La liberté ou la norme ? » (Le Devoir, 6 mai 2017) met en lumière quelques arguments de Beaudoin-Bégin, qu’il approuve ou réfute. Son texte est éclairant.
Mathieu Bock-Côté soutient, pour sa part, dans « Paradoxe français » (Journal de Montréal, 6 mai 2017) que plusieurs Québécois sont des « handicapés linguistiques », que patente, truc, chose, affaire, machin sont des béquilles. Le sociologue finit son texte sur un crescendo théâtral exagéré, qui me fait soupirer : « Le handicapé linguistique est non seulement handicapé de la pensée, mais handicapé des sentiments. » Ouf!
Avouons que le sujet est passionnant, pour en dire le moins.
En fait, c’est la notion de norme linguistique qui est au cœur du débat sur la qualité ou sur la valorisation de la langue au Québec. Dans cette optique, une double question se pose : vaut-il mieux avoir pour modèle le français parlé sur le vieux continent ou est-il préférable que les locuteurs d’ici prennent pour référence les normes linguistiques du français québécois?
Tournons-nous vers une approche scientifique pour analyser la question. La lexicographe Marie-Éva de Villers (auteure du Multidictionnaire de la langue française), dans sa publication Le vif désir de durer, pose ainsi l’enjeu : « Deux thèses principales s’affrontent – parfois assez violemment. Les tenants d’une norme unique pour l’ensemble des francophones s’opposent à ceux qui reconnaissent une norme du français propre au Québec et souhaitent qu’elle soit décrite. » Pour aller au fond des choses, madame de Villers a analysé les mots de deux quotidiens québécois, Le Devoir et La Presse, et une publication française similaire, Le Monde, pendant un an, pour tirer des conclusions linguistiques sur la qualité du français d’ici. Son ouvrage fait 347 pages, mais je vous épargnerai la lecture intégrale de celle-ci :
Constats :
- On parle bien français ici au Québec et les mots employés dans nos quotidiens sont les mêmes, à 77%, que ceux employés en France et dans toute la francophonie. C’est notre tronc commun.
- Ce qui distingue notre français de celui de France, c’est la créativité lexicale par préfixation et suffixation et non les anglicismes, les piètres niveaux de langage et les jurons…
- Il n’y a pas UN français. Il y a DES français.
Laissons-nous sur les sages déclarations scientifiquement prouvées de Marie-Éva de Villers :
« Les principales conclusions qui se dégagent de l’étude approfondie d’un vaste corpus journalistique incitent à l’optimisme en ce qui a trait au français au Québec. Le tronc commun des usages que se partagent les francophones est très étendu : les recoupements sont infiniment plus nombreux que les éléments distinctifs et traduisent l’unité au sein des usages de la communauté francophone. »
J’espère que Denise lira Le vif désir de durer de Marie-Éva de Villers et en fera l’objet d’une future chronique plus étayée.
Vous posez-vous des questions d’ordre linguistique? Il existe des réponses! Faites appel au Service de référence linguistique du Collège Lionel-Groulx.
Le prochain club de lecture « Tout Lionel » aura lieu à l’automne, au salon du personnel, et portera sur le roman policier: une excellente idée de Geneviève Plourde!
Références consultées pour la rédaction de ce billet :
Antidote 9. Druide informatique, 2016.
BEAUDOIN-BÉGIN, Anne-Marie. La langue affranchie, se raccommoder avec l’évolution linguistique, Éditions Somme toute, 2017, 122 pages.
BEAUDOIN-BÉGIN, Anne-Marie. La langue rapaillée, combattre l’insécurité linguistique des Québécois, Éditions Somme toute, 2015, 120 pages.
BOCK-CÔTÉ, Mathieu. « Paradoxe français ». In Le Journal de Montréal, édition du 6 mai 2017 [en ligne], consultée le 12 mai 2017
BOMBARDIER, Denise. « Une linguiste populiste ». In Le Journal de Montréal, édition du 25 avril 2017 [en ligne], consultée le 12 mai 2017. http://www.journaldemontreal.com/2017/04/25/une-linguiste-populiste
CORNELLIER, Louis. « La liberté ou la norme? ». In Le Devoir, édition du 6 mai 2017 [en ligne], consultée le 12 mai 2017.
De Villers, Marie-Éva. Le vif désir de durer, Illustration de la norme réelle du français québécois, Québec Amérique, Montréal, 2005, 347 pages.
Madelle Sylvie,
Merci encore une fois pour ce beau texte. On peut questionner l’orientation de la recherche de Mme de Villers. Peut-on déduire du tronc commun de français dans les médias une conclusion à l’effet qu’on parle bien français au Québec?
Bonjour. M. Lajoie. Je vous remercie pour votre commentaire et votre question. Pourquoi écrivez-vous qu’on peut « questionner l’orientation de sa recherche »? Je crois que celle-ci était très objective, voire scientifique.
Je la cite :
« Pour apporter un éclairage nouveau et documenté à la description du français québécois, j’ai étudié des utilisations publiques et contemporaines de la langue française au Québec, soit celle de la presse écrite. Plus précisément, j’ai analysé l’ensemble des 25 000 articles publiés en 1997 dans Le Devoir afin d’en extraire les mots employés et pour former en quelque sorte le vocabulaire du devoir. J’ai fait de même pour les 52 405 articles qui ont paru dans le quotidien français Le Monde au cours de la même période de référence en vue d’établir le vocabulaire du Monde.»
Vous écrivez également: « Peut-on déduire du tronc commun de français dans les médias une conclusion à l’effet qu’on parle bien français au Québec? »
Lorsque j’ai écrit que le constat numéro 1 était qu’on avait la preuve qu’on parle bel et bien français ici, je rigolais un peu pour tourner en dérision, un tout petit peu, les Bombardier et Bock-Côté de ce monde qui en doutent, parfois.
En fait, la mise en lumière du « tronc commun » signifie que les francophones du monde, tout en parlant leurs variétés de français, utilisent un même bassin de mots, du moins dans ces deux journaux, dans une proportion de 77%. Ce fait méthodiquement prouvé devrait réfuter l’argument des détracteurs de notre français : nous ne parlons ni franglais ni québécois. Nous parlons français, un français aux couleurs québécoises. Ce n’est pas un moins bon français, c’est simplement une variété parmi d’autres.
Oh, que c’est intéressant tout ça. Merci!
Mes contacts (nombreux, au fil des ans) avec des tas de non-québecois (de France et d’ailleurs) qui parlent aussi français et sont éduqués, cultivés, ne me laissent pas croire que le français est particulièrement mal parlé ici, pas plus qu’il ne me semble particulièrement mal écrit d’ailleurs, en comparaison avec la langue maniée pas d’autres francophones. C’est une impression informée, bien sûr, pas un constat statistiquement rigoureux 🙂
Les erreurs diffèrent, les tics de langage font de même; la langue est teintée de la culture de celles et ceux qui s’en servent.
Le ton polémique de deux des trois personnes réagissant aux propos de la «linguiste» est divertissant, mais je dois avouer que le ton plus posé du troisième me semble plus fécond pour une saine réflexion.
Encore merci!
Merci, Patrice, pour tes propos judicieux et ton commentaire généreux, qui, je l’espère, te permettent un répit de tes corrections 😉 Je suis d’accord avec tout ce que tu dis!